CHAPITRE III :
LA RÉINCARNATION (1/2)
Pour étudier avec
fruit les enseignements de la doctrine
ésotérique, l'étudiant devra avant tout se persuader que la croissance et le développement de l'
âme humaine ne peuvent s'effectuer que par une succession de vies physiques, séparées entre elles par des périodes correspondantes de repos spirituel. L'ensemble de ces procédés naturels est ce qu'on appelle la Réincarnation.
Il est vrai que ce sujet est inséparable des autres
branches de la science à laquelle il appartient ; et qu'il est souvent
nécessaire, pour bien saisir les
conceptions fondamentales de la doctrine
ésotérique, d'en avoir déjà embrassé l'ensemble, et constaté la parfaite
harmonie.
L'enseignement
ésotérique ne ressemble pas,
sous ce rapport, à la géométrie d'Euclide dont il faut apprendre
seulement une petite quantité à la fois et la bien assimiler pour
la retenir. Les deux sciences ont ceci de commun que, pour en comprendre les dernières propositions, il faut d'abord avoir bien saisi celles qui précèdent. Mais dans l'enseignement
occulte, pour en arriver là, il est souvent nécessaire d'anticiper beaucoup et de comprendre combien les premières notions sont indispensables à la
conception des hautes idées spirituelles qui seront exposées dans la suite. Si alors l'étudiant reprend à nouveau tout l'enseignement, il commencera peut-être à en voir les principes fondamentaux sous un
jour nouveau et pourra alors les adopter comme convictions permanentes ; il y trouvera ainsi une base solide pour édifier ses futures connaissances.
Mais, nous demandera-t-on tout d'abord, la Réincarnation
peut-elle être prouvée ? Nous devons reconnaître que cette
doctrine, qui résume l'évolution humaine tout entière, ne
peut se prouver aussi positivement qu'une nouvelle découverte dans les
sciences physiques. Nous allons cependant démontrer que toute croyance
opposée serait anti-philosophique. En effet, la Réincarnation seule
peut expliquer rationnellement les phénomènes de la vie (ceux du
moins que nous percevons), et sans son intervention, la
conception du monde dans
ses conditions actuelles serait inspirée, non par la bonté et la
sagesse, mais par la malveillance et l'injustice. Elle seule peut faire comprendre
qu'un homme soit un Newton et qu'un autre ne soit qu'un pauvre
ignorant. D'autre
part, bien que la plupart des hommes (par des raisons clairement expliquées
dans l'enseignement
ésotérique) aient oublié leurs existences
antérieures, quelques êtres, parvenus à un certain développement
spirituel, s'en souviennent, non pas vaguement comme à travers un
brouillard,
mais avec une entière précision, et même avec certains détails
qu'une mémoire peu exercée ne conserverait certainement pas des
premières années de son existence terrestre. Ces considérations,
jointes à d'autres, seront reprises plus tard. Je désire surtout attirer l'attention sur ce fait que la Réincarnation, en l'absence de preuves tangibles (au sens absolu du mot) est néanmoins presque établie par le raisonnement. Tout homme intelligent qui en aura bien saisi l'
esprit, et qui en observera longuement l'application dans les diverses phases de l'existence, tant corporelles que spirituelles, l'admettra aussi aisément que la science admet la théorie ondulatoire de la lumière. Cette théorie n'est plus discutée aujourd'hui ; elle seule, en effet, peut expliquer les faits constatés. La Réincarnation remplit le même rôle dans le domaine de la science spirituelle : c'est la seule théorie qui puisse expliquer tous les faits et elle est lumineuse dans son véritable aspect scientifique ; c'est-à-dire qu'elle s'harmonise avec les uniformités de la Nature, qui, sans son intervention, nous paraîtraient impitoyablement violées par les lois qui gouvernent l'évolution humaine. Aussi les
esprits cultivés cesseront-ils de discuter la Réincarnation, jusqu'à ce que la plupart des hommes, par le développement des facultés supérieures, en soient arrivés à discerner la chaîne de leurs vies successives aussi clairement que nous identifions, chaque matin, le
soleil levant.
Le premier pas à faire, dans l'étude de la
Réincarnation, est de prendre connaissance des opinions qui la préconisent
comme seule explication possible du processus évolutif de l'
âme.
Nous possédons sur ce sujet de nombreux écrits, et les étudiants
de la philosophie orientale y reconnaîtront généralement un
résumé de l'enseignement des maîtres les plus savants de cette
philosophie. On y voit d'abord qu'il faut écarter de la doctrine
ésotérique
de la Réincarnation bien des croyances populaires qui s'y sont glissées
au cours des âges : celle par exemple de la
transmigration des âmes
humaines dans des
corps d'
animaux. Cette idée a pu faire partie d'une doctrine
très rudimentaire, mais on ne pourrait l'admettre que pour symboliser la
dégradation morale produite par une mauvaise vie ou pour voiler l'enseignement
véritable. La seule théorie que nous soutenions absolument est celle
d'une constante progression dans les réincarnations successives. Quels
que soient les états d'existence qu'elle ait traversés pour atteindre
le stade humain, ce niveau une fois atteint, l'
âme ne le quitte plus et
continue à y progresser.
Pour exposer la donnée
occulte de la Réincarnation,
il faut l'envisager à ce point de l'évolution où l'
âme,
déjà parvenue au stade humain, se trouve dans les conditions d'existence
qui nous sont familières. D'après cette donnée, lorsqu'un
homme meurt, c'est-à-dire perd son état de conscience sur
le plan physique, cette conscience entre, tout d'abord, dans des conditions
d'existence spirituelles ou relativement spirituelles d'une très longue
durée et d'une importance considérable. Sous certaines conditions,
elle pourra, sans doute, conserver ses rapports avec la conscience de ceux qui
sont encore vivants, ainsi que le confirment les nombreuses expériences
des spirites. Mais, d'autre part, l'
âme peut aussi passer à des états
beaucoup trop élevés pour lui permettre de communiquer, du moins
au sens où on l'entend généralement, avec les amis qu'elle
a laissés sur terre. On voit par ces considérations que la Réincarnation
ne discute qu'un seul point des diverses
conceptions relatives à la vie
spirituelle : celui de la durée éternelle qu'on lui attribue ; parce
qu'elle nous fait entrevoir, dans la suite des temps, un type humain tellement
perfectionné, sous le double rapport du
corps physique et de l'
âme,
qu'il paraît inadmissible que notre humanité actuelle, encore si
imparfaite, soit destinée à une existence éternelle qui en
perpétuerait les imperfections.
Cette doctrine ne conclut pourtant pas à un effacement
rapide de la personnalité ; l'existence spirituelle qui suit la délivrance
de l'
âme peut au contraire se prolonger pendant un laps de temps considérable,
lorsqu'elle s'est trouvée vivement et profondément impressionnée
par ses expériences terrestres. Mais, dans l'
esprit de la philosophie
ésotérique,
les causes limitées ne sauraient produire que des effets limités
et les expériences terrestres recueillies par l'homme, du berceau à
la tombe, ne sont jamais que des causes finies, générées
par les actes, pensées et émotions d'une seule existence. Donc,
en accordant même à ces énergies subjectives une très
grande puissance, un temps viendra, suivant notre doctrine, où elles se
dissoudront, pour ainsi dire, dans l'
essence même de la vie. L'
âme,
dans sa vraie nature spirituelle et
immuable, s'est alors assimilée toutes
les connaissances et les émotions générées dans sa
dernière existence ; elle redevient un centre pur et incolore de conscience
abstraite ; et c'est en cette qualité que, sollicitée par les affinités
de sa nature, elle cherche un autre véhicule pour y exprimer à nouveau
ses facultés latentes. Elle le trouve dans une forme humaine embryonnaire
qu'elle ne choisit pas consciemment, mais qui lui est attribuée sous l'empire
de la même loi naturelle et logique qui, dans la formation d'une plante,
sait attirer et agréger les molécules de matières nécessaires
à son uvre.
Résumons en quelques mots cette légère
esquisse de la Réincarnation.
Prenons une
âme incarnée et suivons-la dans
ses expériences terrestres, développant toutes les réminiscences,
les affections, les associations de pensées diverses qui constituent sa
personnalité (personnalité distincte, bien entendu, du
corps physique
qui lui sert de véhicule). Après la mort, nous voyons cette
âme
jouir d'une existence spirituelle (pendant une période si longue, qu'elle
ne peut se comparer à aucune existence terrestre). Puis elle revient à
une nouvelle existence terrestre, pour y faire d'autres expériences, développer
de nouvelles capacités intellectuelles et entreprendre, peut-être,
ce progrès moral si important qui ne s'acquiert que dans les tentations,
lus luttes et les victoires intérieures de notre vie terrestre.
Toutefois, pour bien envisager la doctrine de la Réincarnation, il ne faut pas perdre de
vue son complément essentiel, cette loi que la philosophie orientale appelle la loi du Karma
(6) et qui ramène l'
âme vers la terre à l'expiration de son repos spirituel. Cette loi, s'inspirant du discernement inhérent à la Nature, n'agit pas au hasard comme, par exemple, la
pluie lorsqu'elle arrose indistinctement la grève ou la mer, le désert et les plaines fertiles.
Ce n'est pas à l'aventure qu'elle choisit la forme
terrestre que doit habiter l'
âme prête à la Réincarnation
; elle lui attribue selon son mérite celle qui réunit absolument
toutes les conditions nécessaires à la libre expression de son Karma.
Les capacités intellectuelles de cet instrument de l'
âme, ses caractéristiques particulières, donnent lieu à des conditions spéciales d'entourage, à bien des joies ou des douleurs ; toutes ces circonstances, et bien d'autres encore, sont déterminées par le Karma de l'
âme qui se réincarne, ou, pour parler d'une façon plus scientifique, de l'Ego qui se réincarne. Le phénomène de l'hérédité n'offre ici rien d'embarrassant. La ressemblance frappante observée entre un père et son fils n'est pas toujours imputable à l'hérédité ; elle est la résultante des qualités manifestées par le fils dont le Karma exigeait ce véhicule spécial, que seule l'organisation physique du père choisi était en état de fournir.
Nous voyons bien souvent des cas où les
forces et les pouvoirs de la Nature agissent par un intermédiaire ; et c'est par
la loi d'assimilation que la Réincarnation et le Karma se concilient avec
l'hérédité
(7).
Cet exposé de la Réincarnation telle que le
conçoit la philosophie orientale répondra par avance aux nombreuses
objections de ceux qui n'en possèdent qu'une idée fausse ou incomplète. On prétend souvent, par exemple, que si nous avons vécu plusieurs fois sur cette terre, nous en aurions conservé le souvenir. Cette objection s'appliquerait à toute théorie autre que celle que je viens de démontrer ; car il est de toute impossibilité pour l'
âme qui se réincarne de rapporter sur terre des souvenirs qui doivent être complètement évanouis, dissipés et oubliés dans tous leurs détails, avant qu'elle soit apte à se réincarner. On pourrait alléguer (et le fait s'est présenté bien souvent) certains exemples de sujets spécialement organisés qui auraient conservé le souvenir
d'une vie précédente ne remontant pas à une époque
très éloignée. Nous nous contenterons de faire observer que
dans tous les règnes de la Nature les lois relatives au progrès
normal des êtres sont souvent outrepassées par quelques individualités exceptionnelles.
Dans notre race, la moyenne de la vie humaine est de soixante-dix
années ; mais cette règle n'est-elle pas bien souvent enfreinte ? Il est donc convenable qu'il en soit de même dans les régions spirituelles,
et que quelques
âmes en sortent prématurément pour revenir,
avant l'heure, à la vie terrestre. Nous présumons, en outre, que
sur les plans supérieurs, l'
âme libérée est peut-être
sujette à des accidents analogues à ceux qui, sur le plan physique,
nous ravissent parfois subitement l'existence. Les cas de réincarnation
prématurée sont rares et sont alors causés par des complications
karmiques dont la recherche nous entraînerait trop loin. Le point important
à retenir est, qu'au cours normal des choses, l'Ego doit avoir perdu tout
souvenir de sa vie antérieure pour être prêt à entrer
dans une vie nouvelle.
C'est d'ailleurs ce qu'on pourrait souhaiter de plus désirable au progrès de l'
âme, s'il n'y avait d'autre raison ; car la vie serait insupportable à l'homme, aux stades inférieurs de son évolution, s'il avait sans cesse devant les yeux l'interminable série d'existences insignifiantes qu'il a dû traverser avant qu'un certain développement spirituel lui ait montré la voie du progrès. De plus, les expériences recueillies après chaque vie ne porteraient pas autant de
fruits, si les leçons n'en avaient été apprises, pour ainsi dire, une à une. Mais, avant tout, la cause principale de l'oubli des existences passées vient de cette sage prévoyance de la Nature qui nous permet de recueillir, dans des états de conscience appropriés, le maximum des jouissances générées par nos aspirations spirituelles ici-bas. Il ne
serait pas juste que l'
âme gardât la mémoire du passé avant d'avoir développé des facultés supérieures à celles que possède actuellement l'humanité. Les souvenirs sont généralement tristes, souvent voilés de vagues regrets. Pour admettre qu'un homme se souvienne de quelque bonheur évanoui d'une vie passée, il faudrait supposer une de ces deux choses : ou il a quitté le
Ciel trop tôt, et par cela même s'est trouvé injustement privé du complément de joie spirituelle qui lui était dû ; ou bien ses nouvelles conditions d'existence sont dues à un mauvais karma, c'est-à-dire à des fautes commises dans la vie précédente ; il est alors doublement puni, s'il conserve le déchirant souvenir des bonheurs perdus.
J'essaye ici de justifier cette loi, mais je dois dire, en
terminant, qu'il ne nous est nas toujours loisible de le faire complètement ; et si un
esprit critique incline encore à douter de la sagesse de la Nature qui nous
abreuve aux sources du
Léthé avant de nous faire « glisser d'état en état », nous lui répondrons que, dans l'étude de ces mystères, la première chose à faire est de trouver
ce qui est, laissant à un ordre de connaissance supérieure le soin d'approfondir
pourquoi il en est ainsi.
D'ailleurs, le seul fait d'avoir oublié nos existences
antérieures, associé à cette loi
miséricordieuse qui permet à l'
âme, après chaque étape terrestre, de s'épanouir
dans les régions spirituelles et d'y jouir d'une longue période de repos et de félicité, ne peut nous faire repousser la doctrine de la Réincarnation, si elle se recommande par des arguments d'un ordre
différent.
Je désire, maintenant, insister sur un argument qui, bien qu'un peu abstrait, est d'une grande importance : «
Ex nihilo nihil fit ». Cet axiome a droit à notre respect aussi bien dans le domaine de l'intelligence que dans celui de la vie physique. L'
âme humaine est une entité véritable, même lorsqu'elle est séparée
du
corps auquel elle s'associe durant la vie ; tout observateur exempt de préjugés en trouvera aisément la preuve et indépendamment des grands enseignements de la
religion. Elle nous est fournie par les expériences spirites, en dépit des fraudes, des supercheries qui souvent s'y glissent, et quoique les expériences les plus sérieuses ne puissent en aucun cas justifier les théories trop hâtivement émises par les spirites. De nos
jours, l'
ignorance voulue de ces expériences pourrait seule aveugler la
généralité des hommes sur ce fait important à signaler, que des intelligences ayant habité des
corps physiques peuvent, dans certains cas, se manifester tout en fonctionnant activement sur un autre plan de la nature.
Reconnaître ce fait, prouvé par les expériences
en question, équivaudrait simplement à
ajouter foi à cette notion de l'astronomie que la terre est rondo; mais cette certitude élémentaire
ne laisserait pas d'embarrasser encore bien des gens ; ceux-là mêmes
qu'embarrasserait la démonstration de la forme sphérique de notre globe. Le temps viendra pourtant où ceux qui allèguent la fraude dans
tous les phénomènes spirites, pour se dispenser d'en admettre un seul, seront considérés, par la
génération future, comme nous regarderions aujourd'hui ceux qui soutiendraient que la terre est plate. Je ne m'étendrai pas plus longtemps sur les expériences spirites ot sur leur valeur réelle, mais parmi les nombreux arguments se rattachant à mon sujet, si je me suis étendu sur celui-ci, c'est qu'il m'a paru s'adresser particulièrement à ceux qui, par leur foi
religieuse ou par l'étude des expériences spirites, ont acquis la conviction que l'
âme est une entité distincte du
corps.
Ceci posé, d'où vient l'
âme qu'on voit
éclore chez l'
enfant ? Puisqu'elle est indépendante de son
corps,
elle a dû l'être dès son origine. Elle n'est pas sortie de
rien ; mais sa nature est si essentiellement spirituelle que nous sentons bien
qu'après la désintégration du
corps, elle s'envolera vers
les régions supérieures. N'est-il donc pas évident qu'elle
a dû sortir de ces régions pour venir se manifester sur le plan physique
? « Mais, » pourrait-on objecter, « l'
âme de l'
enfant
est d'une nature bien différente de celle que nous observons, lorsqu'elle
quitte le
corps usé d'un homme âgé. Nous voulons bien la reconnaître comme entité lorsqu'elle s'incarne chez l'
enfant, mais elle semble une entité nouvellement créée. Ce n'est qu'un centre de potentialités, une conscience capable d'apprendre, d'acquérir de l'expérience, de devenir un homme, mais ce n'est
certainement pas une
âme humaine entraînée dès avant sa naissance. » Nous allons répondre à cette objection. Dans l'intérêt de notre argumentation, il nous faut établir : premièrement que l'
âme est une entité permanente, qui existait avant sa vie physique, et qui demeurera également après. L'existence matérielle de l'homme, telle que nous l'observons, ressemble à une perle attachée au fil de la vie. Lorsque nous nous rendons compte que les deux extrémités de ce fil s'enfoncent dans
l'obscurité, nous comprenons que le processus de la naissance est, après
tout, l'incarnation d'une
âme émergeant de l'état spirituel
pour se manifester comme entité physique et, cela fait, nous somme bien
près de reconnaître le côté scientifique qui caractérise
l'ensemble de notre doctrine.
Deuxièmement, il nous faut démontrer que cette
absence de mentalité chez l'
enfant, ce caractère effacé de
l'
âme entrant en incarnation, sont bien des conditions inhérentes
à cette doctrine. En effet, les états de conscience spéciaux
traversés par l'
âme, les connaissances qu'elle a acquises, les émotions
qu'elle a ressenties, toutes ces choses ont vibré à leur maximum
d'intensité pendant la vie spirituelle et sont épuisées avant
que la Réincarnation ne vienne, une fois de plus, rappeler l'
âme
à la terre. Elle ne peut donc être, comme entité réincarnante,
qu'un centre de potentialités, un foyer de conscience apte à recueillir
de nouvelles connaissances, à formuler de nouvelles pensées, aussitôt
que son instrument, c'est-à-dire le
corps que ses affinités karmiques
lui ont fourni, sera assez développé pour qu'elle puisse s'y exprimer
librement.
Envisagé par l'occultiste avec les yeux de l'
esprit, ce processus de l'évolution humaine apparaît aussi intelligible, aussi logique et remplit aussi bien son but que les cycles de destinée qui gouvernent la chute des gouttes d'
eau tombant des nuages sur la terre. Celles-ci se réunissent pour former des
fleuves et vont ensuite se perdre dans l'océan ; puis, aspirées de nouveau par l'atmosphère, elles retombent encore sur terre, réincarnations de gouttes d'
eau qui tombèrent, il y a des centaines ou des millions d'années, et peut-être même dans d'autres conditions.
Quittons ces considérations subtiles qui nous aident
à découvrir le principe de la Réincarnation, et tournons
nos regards vers le monde qui nous entoure ; nous y trouverons l'argument le plus
décisif en faveur de cette doctrine. Si nous admettions l'hypothèse
d'une seule vie terrestre pour chaque
âme, y aurait-il de plus cruelle injustice
que l'inégalité des conditions de cette vie ? Le contraste frappant
existant entre le pauvre et le riche s'augmente encore d'innombrables différences
dans l'organisation physique et la santé des êtres ; il est non moins
terrible en ce qui concerne leur entourage moral.
Certains membres de la grande famille humaine naissent forts
et robustes, doués des plus brillantes facultés intellectuelles.
Préservés du mal dès leur plus tendre enfance, élevés
dans la pureté et l'innocence, ils vivent heureux. Pareille au cours tranquille
d'un
fleuve, dirigée vers un but bienfaisant et utile, cette vie pure les
conduit naturellement, après la mort, à une vie spirituelle dont
les jouissances seront en rapport avec l'épanouissement complet de leurs
plus nobles aspirations. En regard de ces privilégiés, nous voyons
d'autres hommes naître infirmes, estropiés, sujets à de douloureuses
maladies ou plongés dans la misère. D'autres encore, nourris dans
le vice, élevés à l'école du crime, sont des fléaux
vivants pour leurs
compagnons, et périssent victimes de la justice humaine
qu'ils ont violée.
Certains défenseurs maladroits de la théorie
d'une seule existence prétendent, avec aussi peu de sensibilité
que de bon sens, que les résultats se trouvent à peu près
égalisés par le fait seul du soulagement qu'éprouvent ces
malheureux, dans les rares instants où leur sort s'améliore un peu.
Les expressions me manquent pour qualifier cette basse et absurde
conception.
La somme de bonheur ou de bien-être terrestre est, pour chacun d'entre nous,
aussi variable que l'étendue des lacs, ou la longueur des
fleuves ; les conditions d'existence diffèrent si largement dans leur nature qu'elles ne pourraient jamais se compenser là-haut, comme ou le suppose parfois. En effet, poser en principe que les malheureux sur terre jouiront, par cela même, dans les
Cieux d'une félicité supérieure à celle des heureux de ce monde, c'est affirmer l'
iniquité de la Providence sur les plans supérieurs comme sur le plan physique. Car les personnes lésées seraient alors celles qui se verraient arbitrairement frustrées d'une éternité bienheureuse, au prix de quelques jouissances terrestres transitoires.
Pour bien se rendre compte de l'ordre, de la justice et de
l'
harmonie qui président aux destinées humaines, il faudrait contempler
la longue série d'existences terrestres qui contribuent à former
l'
âme individuelle. Non seulement nous rendrions alors pleine justice à
la sagesse qui gouverne le monde, mais nous verrions encore avec quelle précision
infaillible l'évolution humaine se trouve guidée par la loi naturelle.
Les actions des hommes, qu'elles soient bonnes ou mauvaises, sont toutes complexes ; tantôt empreintes de spiritualité, parfois, au contraire, tout à fait matérielles ; ces dernières doivent récolter leurs
fruits dans l'incarnation suivante. Leur extrême diversité suffit à nous expliquer celle, non moins grande, des conditions de la vie humaine ; elles ne sont pas le jouet d'un hasard aveugle, ou le résultat d'un accident de naissance expression absurde qui dénote bien l'
ignorance générale en ces matières. Il n'y a pas d' « accident », il y a l'acte suprême de la divine Justice qui guide l'évolution.
Nous connaissons l'exactitude absolue de la loi qui régit
les affinités moléculaires, elle nous a souvent frappés d'étonnement par la complexité de ses aspects ; mais les lois naturelles
primordiales du monde moral, dans leur
force intensifiée, opèrent avec une précision qui défie celle d'aucune réaction chimique.
Le milieu dans lequel nous naissons est le produit mathématique de causes que nous avons librement générées dans des vies antérieures. Il devient donc évident que les causes que nous créons aujourd'hui causes générées par notre volonté, si entravée soit-elle par notre entourage détermineront fatalement les conditions d'existence qui nous échoiront dans l'incarnation suivante.
N'oublions pas que cet entourage ne réunit pas seulement
les conditions morales nécessaires à l'
âme réincarnée
; il lui dispense encore le bonheur ou le malheur généré
par son Karma, et lui permet l'expression du progrès intellectuel et psychique
qu'elle a déjà réalisé ; parce que dans les régions
où s'accomplit ce progrès, comme dans celles où agit la grande
loi morale, jamais l'effort ne reste stérile. L'homme qui aura consacré
sa vie à l'étude d'une science ou d'un art spécial ne retrouvera
certainement pas, lors d'une prochaine incarnation, ces mêmes connaissances
spécialisées au point où il les a laissées ; elles lui seraient d'ailleurs vraisemblablement inutiles dans sa nouvelle situation ; mais ces connaissances se manifesteront néanmoins par des
dispositions remarquables pour la science ou l'art précédemment étudié.
N'avons-nous pas souvent observé combien est grande entre les hommes la
différence d'aptitude pour les langues étrangères ? Les uns
en apprendront une douzaine avec plus de facilité que d'autres n'en apprendraient
une seule. « C'est un don de naissance », dira le critique vulgaire,
heureux d'incriminer la nature en attribuant à un accident l'effet merveilleusement adapté d'une loi naturelle. Il jugera sans doute de même les exemples frappants de talents prémonitoires : des
enfants faisant preuve d'un véritable génie musical à un âge où leurs camarades moins « doués » peuvent à peine reconnaître une mélodie. C'est qu'il ne s'agit pas ici d'un don, mais d'un talent déjà acquis et fidèlement conservé par les affinités karmiques de l'Ego individuel.
Ces considérations amèneront le lecteur à
reconnaître que la doctrine de la Réincarnation explique d'une façon
rationnelle les grands problèmes de la vie et de l'évolution humaines
; et il se rappellera alors sans surprise qu'elle fut, dès les premiers
âges de l'
histoire philosophique, regardée par la plupart des peuples
comme la
clé de toute science spirituelle. Elle était la pierre
angulaire du
Brahmanisme ; le
Bouddhisme l'y trouva plus tard, et l'adopta sans
hésiter. Cette considération ne devrait pas être prise à
la légère par les penseurs
européens trop enclins à
juger notre époque, avec les progrès merveilleux réalisés
dans les domaines scientifiques et intellectuels, comme méritant seule
l'attention et le respect. L'école moderne entreprend seulement de déchiffrer
les mystères de la littérature sanscrite, et déjà
ce qu'elle y trouve l'étonne prodigieusement. Sans même aborder,
pour le moment, une hypothèse quelconque sur l'antiquité de cette
littérature, il n'en est pas moins établi, que bien avant les débuts
de la philosophie
européenne, cette littérature existait très
complète et témoignait, de la part de ses auteurs, d'une profonde
sagacité dans les problèmes de l'
esprit et les spéculations
métaphysiques. Prenons comme exemple la
Bhagavad
Gita, cette remarquable uvre littéraire. Les occultistes
prétendent avec les étudiants hindous qu'elle était déjà
considérée comme bien ancienne au temps où la Grande-Bretagne
n'était qu'une île sauvage, et où ceux qui devaient plus tard
la civiliser luttaient encore pour l'existence contre les peuplades guerrières
de l'Italie. A mesure que l'
allégorie contenue dans ce poème nous
apparaît avec toutes ses complexités laborieuses, nous comprenons
que les auteurs avaient dû approfondir sérieusement les grands mystères
de la vie et de la mort, et qu'ils devaient en outre, être inspirés
de la plus pure spiritualité. En ce qui concerne les relations de la limitation
incarnée avec la conscience infinie, ils avaient formé des
conceptions
dont la grandeur n'a été surpassée depuis lors par aucun
autre
théologien. La magnifique épopée qui fait le fond de cet ouvrage est remarquable, autant par la délicatesse du sentiment poétique
que par l'élévation de l'éthique et la complexité du
symbolisme. On y reconnaît l'uvre d'une race qui possédait la plus haute culture intellectuelle. Dans le domaine des spéculations
méthaphysiques, les
Européens ne sont que des débutants lorsqu'on les compare aux anciens Hindous. Le dogme de la Réincarnation, accepté
par les Hindous et nié de nos
jours par les
Européens, n'est-il pas une preuve éclatante de la régression des connaissances métaphysiques
?
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(6) Cette loi est aussi appelée loi de Causalité.
(7) Voir
La Doctrine secrète, 1er vol., pp. 213 et 214, les intéressantes découvertes du philosophe embryologiste allemand, le professeur Weissmann. N. d. T.